Jeanne Londiche

Indépendante spécialisée en recrutement PHP

jeanne@jlrecrutement.comT. 06 49 35 64 30

J’arrête le recrutement propriétaire,
je passe à l’open source !

Raoul s'engage corps et âme dans le projet de Licorne, en sacrifiant tout environnement extérieur.

Ce que je sais aujourd'hui, c'est que j'ai encore un peu de mal à me demander comment la situation a pu arriver. Tout se fait très lentement, sur la durée, sans qu'on puisse s'en rendre compte. J'ai pu lire certains retours d'expériences indiquant qu'il fallait un "déclic" pour comprendre qu'on était en burn out, ça a été le cas pour moi mais j'y reviendrai un peu après.

Aujourd'hui je pense avoir assez de recul sur les choses pour tenter d'analyser objectivement ce qui s'est passé, mais ça reste à chaque fois douloureux, même plus d'un an après.

Ce dont je suis sûr, c'est que mon problème principal a été d'être trop impliqué émotionnellement dans le travail et dans les standards que j'ai voulu m'imposer pour être à la hauteur des ambitions de l'entreprise.

Le mythe de la licorne

Quand on rejoint une start up "licorne" à fort potentiel et à forte croissance, le discours général qu'on entend tourne très souvent autour de "nous". Nous les salariés, la force de l'entreprise, son "avenir". Alors au début, on veut faire bien, on se sent investi d'une grande mission et impliqué. Et puis l'entreprise souhaite aller plus loin, alors les objectifs se corsent et grandissent. Alors on redouble les efforts, on donne tout et puis ça fini par devenir une obsession, de vouloir faire encore mieux, et encore mieux, jusqu'à devenir un fardeau.

Les problèmes s'accumulent (sous staffing, projets trop importants, pression de la direction sur les deadlines, les ragots et l'ambiance qui se dégradent suite à l'évolution de l'entreprise, le dégraissage des externes, la communication, une nouvelle direction, le changement des valeurs...)
Bref, on finit par voir une montagne en face de soi, impossible à franchir. Pourtant on continue, on peste, on enrage, on gueule et on se plaint mais rien ne change. S'ensuit alors une phase d'acceptation et puis on finit par se dire que c'est "normal". C'est à ce moment-là qu'on tire clairement sur la corde alors qu'il ne faudrait plus.

Je pense que l'entreprise a évidemment une part importante de responsabilité dans le fait de pouvoir éviter ce genre de situation. Notamment dans la gestion des projets et dans ses ambitions par rapport aux nombres de personnes disponibles pour les réaliser.

On ne peut pas bâtir une pyramide avec 3 personnes. Mais c'est pourtant ce que certaines entreprises essayent de faire (notamment quand on commence à jouer avec les levées de fonds, et les millions d'€ qui vont avec).

Le management au plus proche de l'équipe aussi se doit d'être expérimenté afin d'accompagner les équipes (souvent jeunes), de les canaliser, les protéger et les guider. J'ai eu la malchance d'avoir un manager qui n’avait ni la formation ni l'expérience pour l'être. Peut-être que les choses auraient été différentes alors. Mais je pense aussi que pour éviter ce genre de situation, il est important d'enseigner à tout le monde, tous les salariés/candidats/étudiants qu'une entreprise ne doit pas devenir le centre de notre monde. Il est évident qu'elle occupe et occupera une part non négligeable de notre temps et de notre vie, mais pour autant, il faut, je pense, rester un minimum détaché.

Mes symptômes ont été nombreux. Entre mal de dos chronique, problèmes digestifs récurrents, grosse fatigue, irritabilité et surtout stress et anxiété constante... Le pire je crois a été le fait de perdre toute empathie, notamment avec ma famille et ma relation de l'époque... Je n'allais plus voir mes parents (près de 6 mois avant d'être en arrêt maladie pour burn out), j'ai rompu avec mon ex-copine, j'étais beaucoup moins présent avec mes amis... Bref je me suis totalement isolé, parce que "j'étais très occupé".
C'est à ce moment là que j'ai eu le "déclic" que j'ai évoqué au début de ce texte : lorsque j'ai rompu avec mon ex-copine. À ce moment-là j'ai réalisé qu'il ne restait presque qu'une chose concrète dans ma vie : le travail. Et pourtant, c'était l'élément qui me faisait le plus de mal ! Il m'a fallu ça pour comprendre que toute la situation n'était pas normale, et qu'il n'y avait qu'un seul dénominateur commun. A ce moment-là j'étais terriblement triste et déprimé, je ne m'alimentais plus et j'ai donc été arrêté par un médecin pour "burn out/dépression". J'ai dans la foulée donné ma démission, en craquant lors d'un 1o1 avec mon CTO.

J'ai alors été suivi par un psychologue, pour comprendre, pour analyser, soigner et surtout prévenir ce genre de situation à l'avenir. Même si la priorité a été de s'occuper de la dépression (l'envie de ne plus rien faire, plus coder, plus manger...), nous avons beaucoup travaillé sur le fait d'apprendre que le travail n'était pas le centre de mon monde. Qu'il existait d'autres choses. Je pense que ça a été très bénéfique car aujourd'hui il m'arrive de repenser à certaines discussions que j'ai pu avoir avec cette personne, notamment quand je suis frustré par une situation professionnelle.

La reprise

J'ai pourtant, après presque 2 mois de pause, décidé de reprendre le travail dans une nouvelle boite. Déjà pour une raison financière, et puis "pour ne pas être largué". Le monde de l'IT joue beaucoup sur le côté passionné des développeurs, sur la veille technique et sur le fait d'être à jour. C'est d'un côté génial car on en apprend tous les jours et que le domaine est en constante évolution. Néanmoins, il peut y avoir un effet pervers parfois violent, pressurisant les développeurs à toujours se sentir en danger, prêt à être perdu s'ils ne s'accrochent pas. Je pense objectivement que ce fut mon cas.

J'ai alors rejoint une entreprise après ces 2 mois mais ce fut une erreur de reprendre si tôt : Dès le premier jour je me suis senti en prison, oppressé et presque tétanisé. Pourtant mes collègues étaient bienveillants, l'ambiance générale agréable et les projets sympas. Mais tout cela n'a rien changé. Tout ce sur quoi j'avais travaillé pendant ces 2 mois étaient partis l'espace d'une semaine. Je n'étais pas prêt.

J'ai alors mis fin à ma période d'essais, et pris 3 mois de pause à nouveau. Cette fois-ci pour m'occuper de moi uniquement, voir du monde, me changer les idées, faire du sport, oublier le monde du web et me couper de toute pression négative. J'avais besoin de respirer. C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée de devenir Freelance. J'ai évidemment songé à changer complètement d'orientation, très sérieusement. Mais j'aime ce que je fais et je me suis rendu compte que le problème ne venait pas de l'activité, mais du contexte dans lequel on évolue.

De la distance

Ce nouveau projet d'entrepreneuriat m'a alors remotivé et j'ai pu me remobiliser. Aujourd'hui je réalise une mission longue pour un client avec lequel tout se passe bien, j'ai le sentiment d'être libre, impliqué dans mon travail tout en restant détaché de l'entreprise et de ses problématiques internes. Je ne pense pas que ça soit la solution pour chacun d'entre nous ayant vécu un burn out. Mais l'option, en ce qui me concerne, me semble être la meilleure pour moi aujourd'hui.

Enfin, si je pouvais donner mon humble conseil aux éventuels développeurs qui luttent, sont frustrés, tristes, sous l'eau et ont l'impression chaque jour de se noyer : entourez-vous et exprimez-vous. Famille, amis, manager, médecins... Faites bouger les choses, ne vous laissez pas enfermer dans une situation qui stagne et vous fait du mal.

Surtout, prenez du recul. Il y a une question qui m'aide toujours désormais et que j'aime me poser aujourd'hui à chaque fois qu'on me dit "vite, ce sujet est urgent" : "Est-ce qu'on sauve des vies ?". Dans 99% des cas ce n'est pas le cas. Et pour quelques € de moins pour l'entreprise, je ne me ferai pas de mal.

La vie avant le travail.

Elephant