Jeanne Londiche

Indépendante spécialisée en recrutement PHP

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J’arrête le recrutement propriétaire,
je passe à l’open source !

Aude, CTO d'une start-up e-commerce nous livre tout son parcours jusqu'au burn-out.

Le dégraissage

On a donc demandé à mes collaborateurs directs et moi-même de « choisir » les développeurs pour lesquels nous allions proposer une rupture conventionnelle (RC). Cette demande à été renouvelée 3 fois entre février et mi-mars, pour qu’au final, plus d’une vingtaine de « cibles » soient définies.

Les entretiens préalables à ces RC ont tous été basés sur le même modèle : on m’a demandé de dire et parfois de justifier la proposition par de « mauvais résultats » mais la situation était en fait clairement affichée dès le début de l’entretien, la seule alternative à l’acceptation de cette RC par l’employé était un licenciement (peu importe le motif).

Les entretiens s'enchaînent les uns derrière les autres, souvent en période de confinement, par visio-conférence, et en ne consacrant que 15 minutes à chaque cas. Les négociations d’indemnité n’ont jamais dépassé 3 mois de salaire et je n’ai jamais été prévenue de l’acceptation des développeurs. Tous, à quelques rares exceptions, ont fini par accepter et ont quitté l’entreprise entre mai et septembre 2020. Quelques processus sont encore en cours.

Je me demande encore comment j’ai pu accepter de faire ça. C’était inhumain, inutile et illégal. Sans compter que la direction n’a jamais évoqué ces sujets en public et m’a laissé le soin de gérer la justification et le maquillage de ces licenciements économiques aux yeux des collaborateurs. J’ai été grandement félicitée sur ce point par la direction… c’est à vomir… Ce fut le premier drain émotionnel qui a commencé à ruiner ma santé et celle de mes Engineering Managers (ou TM). À noter que l’un d’eux, Thomas était (et est toujours) une cible et que Jean (autre TM) fut sorti des effectifs la veille de la fin de sa période d’essai. Un troisième TM n’a pas été remplacé et son remplaçant éventuel en interne fut "éliminé "par une RC.

À noter que quelques départements comme les UX (User Experience) et les fonctionnels « produit » n’ont quasiment pas été touchés par la vague de départ. Ce qui a amplifié le sentiment d’injustice.

Le COVID fait son entrée

Il a fallu ensuite gérer les effets du COVID et notamment ajouter à la situation déjà désastreuse le chômage partiel. Là aussi j’ai accepté de tenter l’impossible : maintenir nos délais de livraison, accepter d’ajouter encore de la pression aux développeurs tout en réduisant le temps de travail. Nous avons réussi mais j’y ai perdu mon sommeil et j’ai commencé à avoir des symptômes un peu étranges : urticaire géant, fatigue extrême… À côté de ça, je sentais que je n’étais plus moi-même au travail : je trouvais tout le monde incompétent, colères, désespoirs, erreurs, inattention… bref… c’était très mauvais signe. À la mi-mai, une fois la livraison du dernier incrément de code finalisée, j’ai demandé à profiter à plein temps du chômage partiel pour souffler 15 jours et tenter de me retrouver un peu…

Dès mon retour en juin, ce fut le placard. Je n’étais plus conviée aux réunions concernant les roadmaps, les charges de travail ou l’organisation de mes équipes. Mon manager venait de quitter l’entreprise accompagné de nombreux membres du CODIR et le chaos régnait dans les équipes de développeurs.

Mon agenda était vide, complètement vide, et on a maintenu mon taux de chômage à 80%. Dédiée corps et âme au projet de trouver un prestataire d’accompagnement afin de ré-organiser nos équipes, que je gérai directement avec le CEO et qui n’a soudain plus trouvé aucun écho chez lui. Il ne lui restait plus qu’à dire oui ou non pour lancer le projet (ou non). J’attends toujours cette réponse ! Je n’ai donc plus aucun message du CEO alors qu’il me contactait plusieurs fois par jour en Mars et en Avril. 100 % Ghostée !

Juillet. Je voulais partir, me sauver, fuir, m’échapper. Mais on est pas une bonne candidate pour un poste ailleurs quand on est dans une souffrance pareille. On inspire pas confiance. Et au drame de la société s’ajoute à la fois le sentiment de rejet par les autres entreprises et l’impression qu’on est finalement bonne à rien.

Les vacances, un piège ?

Septembre. Je suis au chômage à 100%, la société m’a oublié. Mes collaborateurs ont repris le boulot presque normalement, ont des projets, des tâches, moi non.

On retire mes collaborateurs de ma responsabilité dans l’outil de gestion RH, pour m’éviter d’avoir à "travailler pendant mon chômage partiel" en validant leurs demandes de congés et leurs feuilles de temps. Mais je reste leur manager me dit-on. Au passage on m’interdit aussi de parler sur le Slack de l’entreprise en prétextant le même argument.

Je me dégoute, je me déteste, je suis incapable de voir une sortie. Les propositions des start-up que je croise me font clairement comprendre que je ne sers à rien, que mon métier est un bullshit job.

Je commence à me rendre compte que c’est vrai, au fond. C’est pas le job en lui même, c’est la situation dans laquelle on se trouve en tant que manager des devs qui pourrit le sujet : on fait le sale boulot des C-level et on assume les problèmes, les tracas, les soucis et les catastrophes que ce sale boulot engendre.

L’intérêt de cette prise de conscience est qu’elle me fait me rendre compte que je ne suis pas responsable de ce qui m’arrive mais de la façon dont je réagis.

Je passe donc à l'offensive en réclamant qu’on me remette au boulot à grand renfort de sarcasme et de déclaration “coup de poing” sur le channel public de Slack. À cette occasion je trouve pas mal de soutien dans les équipes.

On me ré-intègre donc à la fin du mois d'Octobre. Mais je refuse de reprendre un boulot de manager. J’ai un niveau d’empathie à zéro, je hais la boite pour laquelle je travaille, ne lui vois pas d’avenir, je méprise l’ensemble du management. Bref, pas idéal pour motiver des troupes.

J’accepte donc de m’orienter vers un boulot d’architecte pour faire avancer quelques sujets. Au moins je n’ai pas la responsabilité de gérer les bêtises des autres, et je peux oublier que la boite va dans le mur et que je n’y peux rien. Je prends l’argent et je fais mon travail honnêtement, comme je dis, on a déjà volé cet argent à nos actionnaires de toute façon. Je retrouve finalement du réconfort avec le code qui lui n’est ni humain, ni inhumain, n’a pas d’opinion, ne me juge pas.

Moi qui avait fini par aimer les gens…

Le bilan

Bilan de ces 6 mois de galère ?

Un burnout, un bore-out, un placard… une résurrection mais…

Je suis fière d’avoir finalement pris une décision rationnelle : faire une croix sur le management (au moins pour un temps) en attendant LA BONNE entreprise qui aurait effectivement quelque chose à me demander.

Me battre pour mon travail et ma rémunération parce que c’était la seule chose à faire. Ne pas tout envoyer balader comme une enfant. Apprendre à assumer mes responsabilités, uniquement mes responsabilités et envoyer au diable tout le reste. Focaliser ma vie sur ce qui compte vraiment.

J’ai tué mon égo, ma carrière de rêve (ou rêvée) tout ce qui quelque part engendre cette sur-responsabilisation, cette inquiétude, ce stress qui n’était pas vraiment le mien.

Je ré-apprends à travailler, doucement, à retrouver le goût de l’effort mais de choisir sur quoi je fournis cet effort.

Des séquelles ?

Un profond mépris pour ces start-ups qu’on nous vend si belles et que je ne vois plus que comme des coquilles vides, des faire-valoir de l’ego de leurs fondateurs plus satisfaits et fiers de l’argent qu’ils prennent que de l’argent qu’ils gagnent. C’est une opinion fondée sur un faible échantillon. J’ai conscience que ce n’est pas réel et que c’est un moyen de défense de mon psychisme.

Elephant